Publié le 25 mars 2017
par Diane Tell — 24/3/2017
DEP cesse son activité, c’est bête, c’est méchant et ce n’est pas juste mais c’était prévisible.
Tellement ! Comme dirait l’autre. Notre belle industrie pleure à chaudes larmes la disparition de son distributeur favori.
Y’a plus qu’à signer chez « Sélect distribution », une filiale de « Québécor », le seul et dernier concurrent de DEP.
Depuis quelques années, on avait remarqué que la place réservée aux CD’s dans les magasins de grande et de petite surface diminue jusqu’à disparaitre dans la plupart des cas. Les enseignes spécialisées claquent leurs portes une à une, y compris les institutions et ce, un peu partout dans le monde. Les lecteurs de CD en option sur les nouveaux modèles de voitures ou disparus de nos ordinateurs portables n’aident pas la cause du CD. Plus de points de vente, plus de lecteurs, forcément ça précipite l’obsolescence de l’objet…
Je ne suis donc pas surprise qu’un distributeur indépendant comme DEP finisse par lâcher prise. L’industrie de la musique québécoise, si soudée, s’y était préparée. Je n’en doute pas une seconde ! Sans ironie ! Les dirigeants de DEP et les patrons de leur Label-clientèle ont forcément négocié cette fermeture de rideaux dans les coulisses du spectacle des médias.
Voyons ce qu’on en dit dans la presse justement.
(NOTE : Les propos de monsieur Courtois, président de DEP, ont été repris dans toute la presse. J’ai choisi ces extraits de l’article du Devoir car celui-ci m’a semblé plus complet. Ailleurs, il s’est dit en moins de mots la même chose.)
Le Devoir — Philippe Papineau — Le 14 mars 2017 « Le distributeur de disques DEP ferme ses portes — Les difficultés de l’industrie et la fermeture de la chaîne HMV ont poussé l’entreprise à la faillite.
Un important distributeur de disques de la province, DEP, a fermé ses portes lundi. L’entreprise faisait le lien entre les magasins et plusieurs maisons de disques, dont Spectra, La Tribu et Dare To Care.
La récente faillite de la chaîne HMV a aussi porté un coup dur au distributeur fondé par Maurice Courtois…
DEP travaillait avec plusieurs étiquettes québécoises, dont Spectra Musique (Vincent Vallières, Patrice Michaud), La Tribu (Les Cowboys Fringants), Dare To Care (Coeur de Pirate), Instinct Musique (Éric Lapointe) et Coyote Records (Karim Ouellet). Cité par la radio Énergie, le patron de Coyote Records, Rafael Perez, a dit que « DEP est une gang formidable qui avait à coeur l’intérêt des artistes et de l’industrie. Cela nous rappelle que nous sommes dans une industrie en pleine évolution et que plusieurs défis sont à entrevoir pour les prochaines années ».
Chez Dare To Care, Eli Bissonnette a préféré ne pas faire de commentaires, car beaucoup d’informations restent à venir.
La compagnie DEP travaillait également avec Universal Musique France.
J’ai du mal à m’expliquer comment peut « faire faillite » une toute petite branche (DEP) de la colossale entreprise « Investissements Goldmind » — business démarré en 1977 par George Cucuzzella — probablement l’une des plus riches et prospères sociétés gestionnaires-propriétaires-indépendantes de catalogues musicaux au Canada et possiblement en Amérique du nord.
Une petite visite rapide au « Régistraire des entreprises » du Québec nous permet de constater que l’entreprise est bel et bien « en faillite » depuis mars 2017.
Toujours selon le « Régistraire », le premier actionnaire majoritaire de DEP est « Investissements Goldmind », le second « Universal Music Canada » et enfin le troisième « Courtois Family Trust ».
Écrire dans la presse que DEP, fondé par Mr Courtois, travaille avec Universal me semble un peu réducteur.
« Investissements Goldmind », actionnaire majoritaire de DEP, est aussi et entre autre propriétaire de la maison de disques « Unidisc », créée par George Cucuzzella. « Unidisc », « Goldmind », « DEP », quelques « Trusts » et d’innombrables petits et moyens labels appartenant au groupe pèsent très lourd sur le marché de la musique au Québec et pourtant, on en parle jamais dans les médias de la belle province. En 40 ans les noms d’entreprise se sont succédés mais le propriétaire ne change pas. George Cucuzzella règne en son domaine aussi privé que l’image du boss, disparue des radars depuis ses exploits de DJ dans les années 70 au Limelight. La spécialité de la boîte : racheter des catalogues phonographiques et éditoriaux pour ensuite les exploiter commercialement grâce à la distribution, la diffusion et surtout la post-synchronisation des titres. Pour exemple : lorsque vous regardez « Sex in the City », « Grey’s Anatomy » ou « Fame », vous entendez des titres gérés par « Unidisc ». « Unidisc-Goldmind » a acquis de très nombreuses étiquettes de disques et maisons d’éditions au Québec, aux U.S., au Canada, dans le monde… Parmi elles : Aquarius Records (Corey Hart, April Wine, The Guess Who, and many more…) et Tacca Musique (Alfa Roccoco, Kevin Parent, Jorane, France d’Amour…).
Si j’étais journaliste, j’interrogerais les artistes « Unidisc » sur leur relation avec le gestionnaire des droits de leurs succès d’avant la prise de contrôle de leur maison de disques.
Tout ça pour dire que DEP ne distribue pas seulement « Dare to care », « La tribu » etc., elle commercialise un énorme catalogue appartenant à son propriétaire.
La grande absente des commentaires, qu’ils proviennent des médias ou des créateurs, reste tout de même « Believe Digital Canada », la branche numérique de DEP, mentionnée dans aucun article. DEP n’est pas seulement le lien entre les magasins et plusieurs maisons de disques. DEP distribue aussi en ligne l’ensemble du catalogue « Unidisc & co. » et ceux de ses clients sur toutes les plateformes de streaming ou de téléchargement, de YouTube à ITunes en passant par Spotify etc..
Consultons à nouveau les archives du « Régistraire des entreprises » du Québec. Le premier actionnaire majoritaire de « Believe Digital » est DEP. Le second : la maison mère « Believe Digital SAS » à Paris, un des plus importants distributeurs numériques en Europe.
Avant d’accuser (encore) le streaming d’être la cause de la fermeture des magasins et par conséquent de DEP, demandez plutôt à « Believe digital Canada » leurs chiffres. Si DEP « en faillite » est le premier actionnaire de « Believe », où vont les sommes collectées sur le marché numérique ? Cœur de pirate = des dizaines de millions d’écoutes en ligne sur chacune des plateformes de streaming : Spotify, Deezer, Apple Music, YouTube etc. ; des centaines de millions d’écoutes cumulées.
Si j’étais journaliste (2) ou une artiste liée à DEP, ma première question serait : que vont devenir les droits numériques acquis par DEP à la signature des contrats de distribution ? Parce que dans les contrats de distribution DEP, « Believe Digital » n’est jamais mentionné. Le numérique lui l’est toujours.
En 2013, j’ai rencontré la gang formidable qui avait à coeur l’intérêt des artistes et de l’industrie. Je cherchais un distributeur « physique » pour les versions CD de « Une » et de « Passé Simple », mes 2 derniers albums. Étant déjà sous contrat pour la distribution numérique avec IDOL, je ne cherchais qu’un lien entre les magasins et mes disques. On m’a fait une proposition dont voici les toutes premières lignes. Dans ce cas-ci, le producteur c’est moi.
LES PARTIES ONT CONVENU DE CE QUI SUIT :
01 PRÉAMBULE
Le préambule des présentes ainsi que les annexes qui seront ajoutées au cours du temps en font partie comme si récité ici en leur entier.
02 DROITS DE DISTRIBUTION EXCLUSIVE
Le PRODUCTEUR cède par les présentes au DISTRIBUTEUR les droits de distribution exclusive de tous les phonogrammes et vidéogrammes qu’il a produits ou pour lesquels il a acquis des droits de distribution exclusive, incluant la vente par internet et autres commerces électroniques ;
La présente entente vaut pour tous les phonogrammes et vidéogrammes dont les droits de distribution appartiendront au PRODUCTEUR directement ou indirectement, pendant toute la durée des présentes, au fur et à mesure de leur acquisition ;
Les droits consentis en vertu des présentes par le PRODUCTEUR valent pour toute étiquette ou label exploité ou à être exploité par le PRODUCTEUR, ses actionnaires ou l’INTERVENANT pendant la durée des présentes ou toute extension.
Le cas échéant, les droits consentis par la présente entente couvrent aussi ; le droit de reproduire, de faire reproduire, de dupliquer, de prêter, de distribuer, de faire distribuer, de louer, de faire louer, de mettre en marché, de promouvoir, de vendre et de faire vendre et sous forme d’audiogramme ou de vidéogrammes ou de fichiers numériques.
Je n’ai pas signé cette entente ni celle presqu’identique de « Select », l’autre distributeur au Québec. Pas de distribution physique sans cession des droits numériques. Dans mon cas autant dire que pour obtenir la distribution physique sur un territoire d’un ou deux albums, je devais céder la distribution numérique de toute ma discographie. Pour finir, Serge Fortin et moi, avons livré nous-mêmes les chaînes de magasins HMV, Archambault et Renaud Bray.
Au Québec, même si tu fais affaire avec une boîte indépendante au départ, tu as de bonnes chances de finir dans le giron « Goldmind », « Québecor » ou « Molson » !
R.I.P. DEP et merci pour tout.
NOTE :
- DEP — Distribution Exclusive Pindoff, société canadienne de distribution de musique au Québec
- A propos de l’expansion d’Unidisc, citons Wikipedia : « However, it was only in the 1990s that the record label established worldwide recognition, acquiring publishing rights to various superstar artists. A few among the ranks consist of Celine Dion, David Bowie, April Wine, Patrick Norman, Robert Charlebois, Babyface, T.L.C., Boyz II Men, Toni Braxton, Usher, Corey Hart and an extensive list of other top charters.
- Quelques albums cultes au catalogue « Goldmind » :