Publié le 1 janvier 2004
Frédéric Schiffter
(écrivain, philosophe)
Lettre à Diane
Ton prénom, Diane, évoque pour moi le titre d’un album de Chet Baker que j’écoute quand le ciel bas et lourd de la mélancolie m’enveloppe. Or je sais, à tes regards, à tes sourires, à tes lectures aussi, que ce ciel, parfois, se pose sur toi. Si la musique est d’abord un air, c’est l’air qui nous manque pour lisser comme du velours nos brouillards intimes et nous donner la chair de poule.
Je ne t’apprendrai pas que les intempéries de l’âme, certains musiciens les appellent le blues. Or pour moi, Diane, tu es une chanteuse de blues. Dans chacune de tes chansons où tu mets ton cœur à nu, il m’apparaît comme un sniper solitaire qui se blesse au lieu de faire mouche : « Désir, plaisir, soupir, écris-tu, c’est une règle de trois, on vise et on tire vers le bas. » Tu chantes pour réparer tes lésions nombreuses. Ta voix les habille du taffetas de la pudeur et tes paroles les parent du charme que présentent certaines cicatrices.
Le sublime de ton blues c’est qu’on le partage avec joie – avec volupté, dirais-je quant à moi, la même que j’éprouve à la lecture de ces écrivains qui égrènent en quelques phrases courtes les moments de leur vie. D’ailleurs, toi, tu choisis tes mots comme une enfant solitaire ramasse sur une plage des coquillages brisés pour en faire un collier à sa poupée. Et sans doute ta musique vient-elle de là, du regret qu’on ne chante plus de belles ballades à la petite fille que tu étais il n’y a pas si longtemps.
Tout cela pour te dire, Diane, que même si tu n’es pas un homme, tu es mon crooner préféré.