Publié le 11 février 2004
Le Point
Jeudi 13 mars 2003
Toute Diane Tell
Patrick Besson
L’album « Tout de Diane « (BMG) s’ouvre sur une superbe version acoustique de « La légende de Jimmy », paroles de Luc Plamondon et musique de Michel Berger. J’étais allé voir à Mogador, « La légende de Jimmy », en 1991. Le spectacle ne marchait pas, je me suis dit que ça devait être bien. En effet, ça m’a beaucoup plu. La mise en scène funèbre de Berger annonçait sa mort, comme la chanson « Le paradis blanc ». F… était assise à côté d’un gros type qui lui faisait du genou. C’est de là que date ma manie, au spectacle, de placer toujours la fille qui m’accompagne au bout d’une rangée. Il y en a qui se plaignent, protestent qu’elles voient mal. Je fais celui qui n’entend pas.
Le deuxième titre « Souvent longtemps énormément » est de Diane Tell, paroles et musique. Il a été créé en 1981, dans l’album « Chimères ». C’est beau, de ne pas vieillir. Chance réservée aux grands livres et aux bonnes chansons. Tous les films vieillissent, même les meilleurs. Les tableaux c’est pareil. C’est parce qu’on les regarde. Le regard abîme, et à la fin il tue. C’est pour ça qu’il ne faut pas faire de télé.
« Si j’étais un homme » (1980). Vingt-trois ans n’ont pas passé sur cette ballade – cette ballade ? – d’une femme qui, par une étrange déformation de la nature, aime les hommes et veut les rendre heureux. C’est une plainte sérieuse, intelligente et romantique. Quelle force il faut pour créer, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie, une œuvre qui touche tout le monde pour toujours.
Les septième, huitième et neuvième titres – « Savoir » (1984), « Faire à nouveau connaissance » (1986) et « Je pense à toi comme je t’aime » (1988) – sont mes préférés. Trois discours tendres et déstructurés sur la condition humaine féminine depuis dix mille ans. « Et c’est comme si / T’avais moins envie. » J’aime aussi beaucoup : « Faire à nouveau connaissance / A Montréal ou à Paris. » C’est simple et neigeux comme deux vers posthumes de Pouchkine retrouvés sur une lettre d’amour du poète écrite en français. L’important, dans une chanson, c’est la qualité de désir et la densité du chagrin. La nostalgie compte aussi pas mal. Impossible d’écouter Diane Tell sans penser aux êtres qu’on a perdus par notre faute. C’est toujours notre faute quand on perd quelqu’un, comme les cartes de crédit. Le manque d’attention ! « Je pense à toi comme je t’aime » raconte une amitié qui a un peu trop viré à l’amour, ce qui arrive souvent quand on embrasse son meilleur pote sur la bouche. Ça doit être la chanson gay culte de Montréal. Pourquoi les Canadiens français perdent-ils leur accent quand ils chantent ? Cela aurait-il un sens fondamental, genre : le chant est universel ?
Dans cette exquise compilation, où passe en 71 minutes et 8 secondes toute la vie d’une femme et où surtout son œuvre tendre, délicate et nouvelle est rassemblée dans ce qu’elle a de meilleur, une curiosité : « Les cinémas-bars », une chanson tirée du premier album de Diane, inédit en France (1978). C’était l’époque où elle faisait du jazz. Où elle était pure, comme me l’ont dit une fois des Québécois rencontrés en voyage. Elle a eu raison d’arrêter. Par la suite, elle a fait du Diane Tell, ça lui allait mieux. Cette fille est plus guitare que trompette ou saxophone. Il faut qu’on puisse entendre, quand elle chante, les battements de son cœur gros. C’est une chanteuse abandonnée, fière comme d’Artagnan. Provinciale et sportive, elle dure. J’ai déjeuné avec elle il y a quelques années en compagnie de l’homme qu’elle aimait. C’était en face de l’Olympia. Elle avait pris place à côté de sa guitare, nous laissant, à Nabe et à moi la banquette.