Publié le 12 décembre 1996
J10 – Ouagadougou-Niamtougou
Comme un dimanche, nous déambulons dans les allées du grand marché central de Ouagadougou en compagnie de Pierre et Laurent, nos amis de Grass Savoye, l’un de nos partenaires. Comme un dimanche matin, nous faisons les antiquaires pour le plaisir « des dieux »; grigris en tous genres, porte-bonheurs, poupées de bois et figurines de bronze.Notre oiseau blessé nous attend sur la piste, prêt au départ. Cap sur le Togo et le point le plus austral de notre voyage, N 04 45 00, à moins de 300 miles de l’équateur. Vol de coucou au-dessus du Ghana. La savane arborée, le relief de la chaîne de l’Atakora, les cultures, les cascades et l’humidité de l’air me rappellent nos balades de randonneurs volatiles dans le Sud-Ouest. Ici, l’Harmattan charge l’atmosphère de particules de poussière jaune, contrairement au vent du sud, qui là-bas lave et teint le ciel en batik pastel.
J11 – Tchichirafermé
Inauguration d’une école construite à Chirafermé grâce au soutien de l’équipage de Jacques Guillem (Sierra X-Ray) à l’initiative de l’ONG Aide et Action. Tantôt à l’ombre des forêts de teck, tantôt en bordure des terres destinées à la culture du coton ou du mil, nous suivons la route des « mil-ouates ». Les habitations tata sont de véritables petits châteaux forts de terre et de paille. Elles peuvent loger jusqu’à 15 personnes sur 2 étages ; chambres individuelles, séjour, cuisine, terrasse où sèchent graines et feuilles diverses, grenier étanche. Ni plus ni moins qu’un F5 à l’africaine.
Les visages luisent en cette saison sèche somme toute humide. Les pilotes fatiguent un peu sous le contre coup des moments intenses vécus au Burkina. L’ambiance n’en pâtit pas pour autant. On apprend à se connaître, les personnalités et les esprits se lâchent, les Belges bon-enfants nous régalent de blagues pour adulte, les 5 équipages bourguignons écoulent leur inépuisable réserve de vin. Le pastis en préventif ou en curatif soigne les bibides éprouvés, certains équipiers repartent en France, d’autres nous rejoignent, on ne s’ennuie pas de sa mémère patrie en grève et en proie à la grisaille générale. Mise à part quelques ennuis électriques, des ongles et des bougies encrassés, la flotte se porte bien au-dessus du niveau de la terre. Je me reproche de ne pouvoir tout prendre et rendre compte de tout…et cette petite chanson de bienvenue togolaise.
Miva Dolo
Miva Dolo
Lon lon le eme
Zin Zin Le eme
Solidarité
Miva Do lo
Moi vais dodo,
demain va Lomé…
J12 – Niamtougou-Lomé
Notre St-Exupériple se poursuit : cap sud vers la capitale togolaise, l’océan, l’humidité australe et l’accueil africain version protocolaire. Nous sommes attendus à Lomé par d’importants représentants de l’élite togolaise. Les Africains adorent les discours, les cérémonies officielles, les grands sourires télévisés, les messages de paix, les rapports transcontinentaux et les contes animaliers ! Et c’est tant mieux ! Ca devait arriver ! J’ai égaré une pièce de mon bordellobagage à l’étape précédente. Montée de panique subite. Je mentionne discrètement l’incident à mes hôtes, un coup de fil, et l’affaire est résolue. La mallette informatique me sera restituée le soir-même à l’hôtel. J’imaginais déjà la machine reconditionnée pour divers besoins domestiques… A priori et sans préjugé, l’ordinateur tel quel ne serait être d’une grande utilité dans un pays où le taux d’analpha-bétisme est de 48.5% et celui de la scolarisation 3ème degré de 2,7%. Des 4 millions d’habitants, moins de 5% possèdent une ligne téléphonique..
J13 – Lomé – Abigjan – Dabou -Yamoussoukro
Nous quittons le Togo pour un GOTO Yamoussoukro en Côte d’Ivoire.
» Bonjour, ça va ?
– Ca va ça vole !
– Tu veux voir quelque chose ?
– Tu proposes quoi ?
– Des fleuves en tire-bouchon, des palmeraies à perte de vue, des villages de pêcheurs de poissons rouges, des forteresses portugaises du 17eme, des voiliers bedonnants, des pirogues filantes, des vagues jouant à saute-moutons, des lagons-miroirs, des nuages cotonneux, des îlots crusoesques, des cigognes besogneuses, des enfants à la baignade plongeant sous nos ailes, des pistes d’atterrissage comme des tapis de billard, des parfums de papaye, des couchers de soleil à l’ouest, des arcs-en-ciel sous l’orage à l’est, des tours de 10 mille mètres de haut dans le ciel, les flashes des éclairs …
– Stop ! En une seule journée ?
– Mais oui, tu longes la côte du Togo et du Ghana jusqu’à Abidjan en Côte d’Ivoire. Tu fais route vers Yamoussoukro via Dabou et tu verras tout ça. Aller, c’est ma tournée.
– Alors, j’y vais, Inch Allah.
– Inch Allah, la gazelle. »
J14 – Yamoussoukro
Y’a mieux en Afrique que Yamoussoukro et ses crocodiles en sac pour belles, son immense cathédrale bidon d’encens de messe et son grand hôtel à l’américaine avec vue panoramique sur les ghettos. Capitale artificielle d’où surgit de nulle part la plus authentique troupe de danseurs et de musiciens. L’ambiance africaine ne se tarie jamais. L’Afrique bazarde dans tous les sens, irrésistiblement sensuelle, touchante, troublante, envoûtante magicienne.
Journée lessive. Bichonnage d’avions. Le fameux check des cinquante heures oblige. J’en profite pour faire quelques tours de piste en solo aux commandes de Victor Bravo m’offrant l’exotisme de vivre ici mon lâché machine. Notre départ précipité de Biarritz ne m’en avait pas donné le loisir. Je m’en fais un devoir. Je vole de mes propres ailes en first-time sur l’Aiglon. Comme c’est émoustillant les palpitations de lâché. A peine extraite de la cabine, les copains m’aspergent de Badoit Menthe, faute de champagne. « Apéroport » avec tout le personnel local initié par Bibiche et Michel, nos stars-mécanos, au pastis traditionnel…
J15 – Yamoussoukro-Bamako-Tambacounda-Simenti
Après un petit surf dans les rouleaux nuageux, nous atteignons le Parc National de Niokolo-Koba au Sénégal et le relais de Simenti sur le fleuve Gambie. Des phacochères friands du goût salé des bandes blanches de démarcation envahissent la petite piste en terre battue. C’est Daktari en pleine nature au fin fond d’une forêt magique de 900 000 hectares.
Un hippopotam-tam nage discrètement dans le fleuve rouge crépuscule. Ah, l’accueil africain ! Demain, nous irons au bois.
Journal d’Afrique (première partie)