Publié le 11 décembre 1996
J5 – Atar-Nouakchott-Selibabi-Bamako
Survol de l’oasis couché au fond du canyon. Légers battements d’ailes pour saluer une dernière fois nos hôtes. Les gamins du village en chemisettes Adidas et copies Ray-Ban nous font de grands signes d’amitié. Descente sur le Sahel, laissant derrière nous le Sahara pour rejoindre les verdoyantes berges du fleuve Sénégal. Nouakchott. Selbabi…Alerte à Bamako…Victor Bravo en courte finale…Affolement général à l’arrivée… Charlie Kilo en base…hélices contre queue… Novembre Echo numéro 3…nous transpirons …visuel sur le trafic en finale… Au suivant ! Au suivant!…Papa Charlie au parking pour quitter…dans la brume sèche épaisse et jaunâtre…Sierra X-Ray position ?…4NM, radiale 120°… limite avant le coucher du soleil…Papa Tango les installations estimées à 17:15…Charlie ! Un Whisky pour le contrôleur malien…quel professionnalisme…et encore Bravo…tous à l’Hôtel les Zoulous !
J6 – Bamako
Pilotes au repos. Retour de la « multiméDiane ». Je profite de cette journée à terre pour rattraper un léger retard dans mon journet. Touchons du baobab, les seuls crashs que nous ayons subi jusqu’ici sont ceux de mon ordinateur et de mon appareil photo. A la recherche du » provider » sera au programme de l’après-midi. L’homme des multimédia au Mali s’appelle Steve Mallet (Malinet). Disquette en poche, nous allons le retrouver dans le quartier commerçant du centre. Il accepte de jouer les facteurs virtuels. Coût du service: 2 francs le kilo! Pas de bibites, Steve nous fait un prix d’ami défiant toute concurrence par ailleurs inexistante et nos 500 kgs d’images compressées (11) s’envolent instantanément vers Jean-Pierre Joignant, responsable de la réalisation du site Internet ° sur lequel on peut suivre le feuilleton du raid au jour le jour.
Cheik Abdel Kader Saw, informaticien autodidacte, graphiste et artiste peintre m’offre 2 de ses tableaux reproduits en numérique qu’il charge no charge sur ma disquette de routarde électro-nique-nique-nique,
S’en allait tout simplement,
Routier fier et chantant,
En tout chemin en tout lieu,
Il ne parle que du bon Dieu,
Il ne parle que du bon Dieu…
J7 – Bamako-Ouagadougou-Bogandé
Une aventure sans difficultés n’est pas une aventure. Ce septième jour confirme la règle de fer. Interdiction de décoller vers Ouagadougou endormie sous la brume sèche, ce qui entraîne un retard pénalisant pour les petits avions lents. Première avarie machine. Victor Bravo sera immobilisé à Ouagadougou, le tuyau d’échappement droit s’étant fissuré. Notre pirogue d’en haut n’ira pas à Bogandé, l’étape clef. Grande déception, petite consolation, je suis invitée à co-piloter le Beech 90 d’Albert, un superbe bi-moteur. 35 minutes de croisière à 200 kts. Je crispe un peu les menottes sur les manettes mais réussis tout de même à tenir la machine au cap et à l’altitude, aidée de l’horizon artificiel. Je suis trop petite pour voir dehors, même sur le bout des fesses ! J’ai l’impression de piloter sur un simulateur ! Albert reprend les commandes à l’atterrissage sur la piste de Bogandé balisée de 5 à 6000 personnes venues des quatre coins de la province de la Gnagna pour accueillir le Raid. En nage dans un bain de foule émouvant.
A l’auberge, sorte de centre culturel, un générateur électrique ronronne dans un coin. Des milliers de gens se rassemblent pressés autour de la scène éclairée d’un néon. La lune et l’ambiance comblent les zones d’ombre. Les femmes chics une lampe de poche en main portent à leur visage des morceaux de foulard à chaque montée de poussière. Nous nous cantonnons à l’arrière-scène pour prendre l’Atis technique et sonore. Je suis programmée en 7ème position du spectacle, composé de discours, de danse, de musique et de théâtre. Fébrile, je me lance, soutenue par le batteur. Sa rythmique impeccable mène ma voix à la baguette. Le public juché jusque dans les arbres chauffe au point de me voir remettre en plein chorus de l’argent-billet par deux inconnus, c’est la coutume. Un peu gênée, j’offre mon « salaire » au musicien, bien que ce soit l’argent le plus fièrement gagné de ma carrière.
J8 – Bogandé-Liptougou
La journée commence par un briefing général sur les réalisations d’ASI et des associations villageoises dans la région. Les responsables burkinabés, les coopérants et l’équipe métropolitaine d’ASI vont mettre un terme à toutes les réticences exprimées ou non (Ya bon les blancs ) dès qu’on prononce le mot humanitaire. Tout n’est pas parfait, le personnel et les fournitures manquent et les mentalités résistent aux politiques de développement. Mais les résultats sont là, et les conditions de vie s’améliorent.
ASI limite le recrutement des Occidentaux. On demande de plus en plus aux expatriés des qualifications qui dépassent la sacro-sainte-bonne-volonté. La tendance est à la formation d’équipes d’individus originaires des villages et régions concernés. Nous quittons Bogandé et la caravane d’avions par petits groupes, pour rejoindre en brousse les aires de santé et zones de développement soutenues par ASI. Liptougou, fondé vers 1730 lors des guerres tribales, se trouve à 3 heures de piste de terre de latérite. C’est vêtements et visages imprégnés de fine poussière rouge brique que nous entrons au village où s’amorce une grande fête en notre honneur. Les Gourmantchés, leur chef de 97 ans, Sogli Hampandi, ses 5 femmes, les Bellas à dos de dromadaires, les Touaregs à cheval, les musiciens et les danseurs tourbillonnent autour de nous impressionnants de couleurs multisonores. Nous trinquons à l’eau blanche : un mélange à base d’eau et de farine de mil puis inaugurons un dépôt pharmaceutique. Visite de la maternité où se reposent une maman et son enfant de 12 heures. Dès la naissance, les poupons sont atteints de paludisme, faute de vêtements et de moustiquaire nous explique Alassan Taboudou, responsable des villages de Liptougou et de Kodjena .
Le campement installé sous un raisigner , nous partageons des plats traditionnels de maïs pilé, de gombos, de fleurs de baobab et de mouton soigneusement préparés par les villageoises. Le Chef nous offre un bélier blanc, un cadeau d’une grande valeur en témoignage de sa reconnaissance. Moments paisibles et conversations animées en compagnie d’un jeune étudiant en droit à Ouagadougou, revenu festoyer dans son village natal. Ici les prénoms signifient tous quelque chose. Le sien, Dagoba, est celui qu’on donne au quatrième enfant du même sexe pour demander à Dieu l’alternance. Conteur doué, il enchaîne histoire sur histoire en ponctuant ses phrases de »voilà! »
J9 – Bogandé – Ouagadougou
Au petit matin, des vautours ni farouches ni agressifs tournent et se posent à quelques mètres de la tente donnant l’impression de vouloir faire ami-ami avec leurs frères et soeurs volants. Nous partons tôt visiter l’école primaire de Kodjéna, avant de prendre la route à mobylette pour Bogandé à 70 km. L’équipage du chirurgien belge François Coenen avait concocté depuis la Belgique un jumelage avec une école d’Estaimpuis. Il remet tout ému au maître un carton rempli de fournitures scolaires de la part des petits écoliers européens. « Et ce n’est qu’un début ! » dit-il. On s’envole en passager d’infortune vers Ouagadougou où nous retrouvons notre avion réparé et notre savon.
Journal d’Afrique (première partie)