Publié le 4 août 2010
Ce mois-ci paraît dans le Magazine Déclic Photo un article sur mon travail de photographe !!! A voir en kiosque jusque fin août.
Photo’graphique ! Diane Tell
Un rien magicienne, Diane Tell a une façon bien à elle de redonner vie à ses photos en noir et blanc argentiques, en leur injectant une douce folie colorée, en prenant soin de ne pas dénaturer le travail photographique premier, mais de le faire évoluer. Étonnant.
PROPOS RECUEILLIS PAR
NATHALIE DEGARDIN
Un après-midi de mai, à l’occasion de son exposition «Colorblind» au Select, à Paris, nous avons rencontré Diane Tell, et découvert de visu ses «pixous», sa signature photographique, essentiellement des photos argentiques scannées et retravaillées sur ordinateur. Titillées, triturées par Diane Tell, les images en noir et blanc évoluent, s’éclairent de couleurs, s’étoffent de matières. Avant le rendez-vous, un coup d’oeil sur le site Internet nous avait laissé perplexe, devant une activité que l’on devinait foisonnante mais que l’on ne savait pas trop comment aborder. Là, face à ces tirages spéciaux grand format, on doit l’avouer, on est avant tout scotché par l’éclat particulier des couleurs. Le titre de l’exposition semble alors aller de soi. Si Diane Tell pratique la photo argentique depuis longtemps, et se pose en tant que photographe au même titre qu’auteur-compositeur-interprète, cette série particulière sort du lot, par la fraîcheur sans prétention qu’elle dégage, qui rappelle résolument l’esthétique pop art, mais sans nostalgie aucune ni effet vintage,une série bien ancrée dans le présent. Un goût plus léger et amusé que critique, le jeu de redonner vie à d’anciennes images, comme si rien n’était jamais fini, une façon de revisiter son passé. Souriante, en ajoutant une larme de lait dans son thé Earl Grey, l’artiste revendique sans complexe son côté « geek », « bidouille ». Leica, Fuji, iPhone…, elle joue avec le numérique comme avec l’argentique. En constante créativité, inventivité, plus qu’en ébullition. On l’imagine un jour à la Yves Klein inventer sa propre couleur. Avec une simplicité désarmante, elle parle de son « truc » bien à elle, de mélanger les technologies entre elles. Lectrice de Déclic Photo, elle nous livre ses images avec enthousiasme.
Comment décidez-vous de réaliser des «pixous » ?
Je pars essentiellement de photographies typiquement argentiques en noir et blanc. Je les ai développées chez Picto dans un labo à Paris. Après il y a un travail dessus… je colore, je décline, je rajoute des matières. Par exemple, dans une photo du Burkina Faso, je vais ajouter des plantes de Mayotte ! Je vais chercher dans mes photos, dans mes archives. La seule petite chose qui diffère, ce sont mes portraits, ils sont faits à partir d’images qui ont été prises par des photographes pour mes pochettes d’albums, ce sont des morceaux choisis, pour les fans, pour ceux qui me connaissent. Au départ, j’avais fait faire des petites cartes, que je signais
quand je rencontrais le public, un peu comme un cadeau.
Vous êtes résolument pro-numérique?
Plus précisément, c’est aussi un peu «mon truc» de mélanger des techniques modernes et anciennes. C’est avant tout très pop, c’est très coloré. Certaines sont particulières parce que la photo de départ est en couleurs. Comme mes toutes premières photos numériques réalisées avec un Fuji DS-7 en 1996 ! Il y a presque quinze ans. À l’époque, vous imaginez, les appareils n’étaient pas aussi sophistiqués. Petit à petit, la technique s’est développée… Dès qu’il y a eu des appareils numériques, j’ai voulu en avoir un, j’utilise les ordinateurs depuis l’adolescence. J’ai un studio d’enregistrement, bien sûr, et tout ce qui est informatique, logiciel, numérique, j’aime beaucoup. C’est quelque chose que je pratique tout le temps. L’ordinateur est toujours avec moi, l’iPhone est toujours plein d’applications, mais en même temps, en musique, si on utilise l’informatique, je conserve complètement les techniques analogiques aussi. J’essaie de trouver un monde dans lequel l’un pourrait se joindre à l’autre pour des effets spéciaux.
La photographie, c’est donc une longue histoire pour vous?
Ça fait un moment que je pratique, ma première expo était en 1996-1997, c’étaient des tirages argentiques, avec dans un coin, ce que j’appelle des « pixous », qui étaient imprimés sur de la toile de lin, c’était expérimental. Le « pixou » de Miles Davis, par exemple, c’est une photo de moi argentique, prise à Montréal. Je fais de la photo depuis l’âge de 14 ans. J’en ai fait avant avec mon père, qui avait une chambre noire, mais ma première chambre noire je l’ai eue à 14 ans. Donc ce Miles je l’avais dans mes archives argentiques, je l’ai ressorti, scanné, et j’ai fait ce tableau vingt ans plus tard !
C’est une façon de redonner vie à des photos?
Oui, et c’est très amusant ! Un artiste, c’est quelqu’un qui bidouille beaucoup, il suffit de regarder, d’acheter une année un ordinateur un peu plus sophistiqué, une table graphique et un scanner. Et automatiquement, ça génère des envies, des idées : et si je scannais ça ? Si je mettais ça ? C’est du bidouillage au début, et puis on finit par trouver avec la pratique et le temps une technique, une façon de faire qui nous est propre. Il faut dire à vos lecteurs que ce ne sont pas des filtres que j’applique sur l’image. Il y a beaucoup de gens qui font du numérique, de la retouche. C’est vrai, j’utilise aussi des filtres, mais j’insiste, ce n’est pas la base. Sur certaines photos, je n’ai rien changé, l’échelle était là, le petit muret. Après j’ai explosé les choses, j’ai enlevé l’échelle de la photo puis je l’ai remise ailleurs. Je bouge des éléments, je rajoute de la matière. Mais je ne triche pas, je ne recadre pas. Pour une autre technique, je badigeonne tout le tirage d’une couleur, puis j’efface… Parfois je vais mettre des petits filtres transparents, sinon ça serait opaque. Une fois que j’ai fini d’effacer une couleur, j’en mets une autre, puis j’efface, ainsi de suite… Je cherche, j’explore le matériel que j’ai sous la main.
Quels sont les appareils et types de logiciels, avec lesquels
vous travaillez?
Je travaille uniquement sur Photoshop depuis le début. J’ai commencé avec la version 3. En ce qui concerne les appareils photo numériques, je travaille avec Fuji car, depuis 1996, ils me font tester du matériel tout le temps. Chaque année, je rends l’appareil d’avant, puis ils m’en redonnent un autre. Je suis toujours restée fidèle à Fuji. De même, bien sûr, j’ai toujours été fidèle à mon Leica M6, pour une utilisation classique, sans éclairage, très photoreportage. Et maintenant je fais également ce que j’appelle de l’«I Art», des photos avec l’iPhone. Ce qui remplace un peu, de nos jours, le Polaroid, avec le même côté instantané. Si vous allez sur mon site, dans la rubrique «Mes Petits Papiers», vous cliquez sur Photo, vous allez voir les derniers posts, comme «posts I Art Amérique du Sud »… Je n’utilise que ça, sans recadrage,
je jongle avec plein de petits logiciels. Tu vois, j’ai jusqu’à six applications différentes. Je fais des photos, des clichés, comme ça.
C’est plus de l’instantané?
Oui, car le Leica c’est beaucoup plus lent ; là, c’est pris dans la rue, c’est instantané. Pour l’«I Art», je fais tout sur l’iPhone. Le processing se fait sur l’iPhone avec les applications disponibles. Par exemple, quand je suis allée en Amérique du Sud au mois de janvier, au retour, il y avait douze heures d’avion; toute la nuit, je l’ai passée à «processer» les images à mettre en ligne. Je suis pas trop tricheuse finalement. Tout ce qui est argentique, je ne l’ai jamais recadré, les Polaroid, de temps en temps je les reproduits, mais je ne les ai jamais exposés, peut-être bientôt sur mon site Flikr. Mais je fais toujours beaucoup d’argentique.
Les «pixous » exposés dans «Colorblind» semblent essentiellement tirés de photos de voyages ?
Je ne fais presque que des photos de voyages. Je prends rarement des photos de là où je vis, ou de Paris. Si je vais en Espagne, pas loin de chez moi, là j’emmène mon appareil. Je vais voir un match de rugby, j’emmène mon appareil, mais dans la vie de tous les jours, dans mon quartier, je n’y pense pas trop. Sinon le voyage, c’est obligatoire, on rentre avec des tonnes de films ! Dans mes photos, il y a de tout, l’océan Indien, Montréal, la Chine, l’Afrique, etc.
Les impressions sont faites sur un matériau particulier?
Toutes les images sont imprimées sur de l’alu brossé et couvert de blanc, les tirages sont numérotés, identifiés, suivis. Ce sont des estampes numériques sur aluminium. Tous les blancs sont un peu brillants, et tout le reste est satiné. Certaines photos, si vous vous mettez dans la lumière, vous voyez la différence. On peut toucher, on sent les matières, il y a du relief. La particularité de ces photos, c’est qu’elles sont faites à partir du fichier RVB. Là
on est dans un magazine qui aime bien la technique…En offset, en impression normale, qui n’est pas numérique, c’est en quadri, en quatre couleurs. Si tu transformes tes fichiers en quadri, ça devient tout pâle. Quand vous travaillez sur Photoshop en RVB sur ordinateur, lorsque vous changez une couleur, ou rajoutez une couleur, du fluo, etc., il vous dit « couleur non imprimable, attention », c’est pour ça qu’il y a les conversion en CMJN. (magenta, jaune, cyan, noir). L’idée, c’était de trouver comment imprimer les fichiers magnifiques sur l’écran, mais quand tu les mets en quadri, tu perds de cet éclat. Je voulais ce rendu d’écran. Et c’est Jérôme Beluze, de Digital Graffic, qui avec sa supermachine a trouvé le moyen d’imprimer en numérique sur de l’alu pour garder cette même brillance. De garder des couleurs très très vives, très jaunes. Il imprime en RVB, il ne passe pas en quadri. Il a des machines Agfa très sophistiquées qui permettent d’avoir ce rendu d’écran. En plus, les plaques en aluminium peuvent être exposées au soleil, elles ne sont pas fragiles à la lumière, et on peut même les exposer à la pluie.
On peut les mettre dehors?
Oui, on fait des expos en extérieur. J’ai des expos prévues dans des lieux publics. Pour l’expo « Colorblind », les tableaux sont à vendre, mais il y a aussi des expos publiques prévues.
Et un projet de livre?
On revient au problème de l’impression. Il y a des solutions, mais ce sont des impressions qui coûtent très cher, c’est pas du quadri, c’est du sept couleurs, c’est un peu complexe, mais pourquoi pas. J’aimerais bien éditer un livre où on mélangerait photos, musiques, partitions, textes. Des chansons illustrées, raconter l’histoire de la photo…Toujours, je crée ma matière première, les photos que j’ai faites cette année, peut-être que je les transformerai dans deux ans ?
voir le PDF ici – Declic Photo juillet 2010