Publié le 12 avril 2012
Le Point – Publié le 12/04/2012
Chanteuses de charmes
Par Patrick Besson
Une femme qui chante, c’est comme une femme qui vous apporte à manger : irrésistible. Sortir avec une chanteuse, c’est aussi angoissant que sortir avec une serveuse : tous les hommes veulent vous piquer votre assiette. Je connais bien l’écrivain Cyril Montana, le mari d’Anggun : il est toujours aux aguets comme un vigile de supermarché. Ou un transporteur de fonds. Les premières chansons que nous avons entendues dans notre vie étaient les berceuses de notre mère, c’est un plaisir que nous voulons retrouver en nous rendant aux concerts de Diane Tell, de Romane Serda ou d’Anggun. J’ai choisi ces trois-là car chacune d’elles vient de sortir un album : Serda Ailleurs au Chant du monde, Tell Rideaux ouverts chez Tuta Music, Anggun Échos chez Warner.
Romane Serda, c’est l’ex-épouse de Renaud, l’homme qui a inventé un nouveau métier : chanteur déprimé. Pour la presse, c’est encore mieux que chanteur énervant. Il n’énerve plus personne, Renaud, sauf son frère Thierry, qui n’a rien compris à la manoeuvre. Il voudrait que Renaud sorte de sa léthargie et fasse un nouvel album alors qu’avec sa dépression son cadet tient les médias en haleine depuis plusieurs années. Il y a aussi son problème d’alcool. Les deux sont liés, comme l’expliquent avec gravité les chroniqueurs people. Une fois, Renaud est sobre. Une autre fois, il s’est remis au Ricard. Il habite Meudon. On a beaucoup vu la maison en photo. Il y a de quoi déprimer, en effet. L’artiste reviendra-t-il vivre à Paris ? Tout le monde se pose la question. Romane en a eu assez, comme elle le chante dans Ailleurs : « Ailleurs elle rêve de vivre ailleurs/De tout balancer de tout larguer/Elle veut choisir ses jours meilleurs. » Dans ce deuxième album, Romane se déplace, se confie, s’expose. Chanter, c’est charmant et elle s’y applique, fluide dans son blue-jean serré de jet-setteuse fatale et perdue dans ses pulls larges de nouvelle célibataire.
Diane Tell est l’intello du showbiz franco-canadien. Elle a commencé dans le jazz, aimé Nabe et chanté Vian. Elle a écrit plusieurs chansons immortelles, ce qui doit faire un drôle d’effet, comme si on entrait de son vivant dans la postérité. Il y a des moments où on doit avoir l’impression de se réveiller dans une tombe. Raison pour laquelle, à la fin du siècle dernier, Diane a eu besoin du grand air de Biarritz ? Surfer n’est pas jouer. Rideaux ouverts est l’album de son retour au Canada, en Abitibi exactement. Ne me demandez pas où c’est, j’ai une dent contre les Canadiens : ils descendent toujours mes livres. C’est peut-être parce que mon grand-père avait un bordel à Vancouver. Il y a dans Rideaux ouverts une gaieté brusque et un vague abandon. L’amour vécu laisse des rides légères sur les mots et on marche sur les notes comme sur des oeufs. On entend la délicatesse peureuse de l’âge mûr, qui précède la décontraction absolue de l’âge mort.
Anggun représentera la France au prochain concours de l’Eurovision de la chanson. On aura tout essayé pour l’avoir, ce fichu concours, jusqu’à y envoyer Patricia Kaas, qui n’a même pas porté plainte. Maintenant une Javanaise, par ailleurs grande vedette internationale. Anggun voyage en ce moment dans toute l’Europe pour faire des concerts et séduire les électeurs. Du coup, c’est Cyril qui se farcit le baby-sitting. Heureusement que nous, ses amis – Nicolas Rey, Philippe Lacoche et moi -, on est là pour lui remonter le moral dans les petits restos de Montmartre. Échos est une merveille musicale et poétique, le meilleur des quatre albums d’Anggun, bien que j’aie un faible pour les chansons de Jean-Pierre Taïeb (C’est écrit, Nous avions des ailes et surtout Un de toi) dans Luminescence (BMG, 2005). Presque toutes les musiques sont signées Gioacchino Maurici. Anggun n’a écrit aucun texte. Sans doute trop occupée par son bébé. C’est comme Cyril : il n’écrit plus beaucoup.
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