Publié le 5 novembre 2009
“Peut-on juger un journal par ses lecteurs, un élu par son électorat, un artiste par son public ?” Interview exclusive de Diane Tell
Téléporté par [Enikao] le 5 novembre 2009 / son blog est ici
Article remarqué par les rédactions de Ecrans – Rue89 et Le Post
“Peut-on juger un journal par ses lecteurs, un élu par son électorat, un artiste par son public ?” Interview exclusive de Diane Tell
Publié le 05 novembre 2009 par [Enikao]
Trouvée par hasard sur la toile, au gré d’un lien et d’un commentaire, Diane Tell m’a beaucoup surpris. L’artiste venue du Québec poursuit son bonhomme de chemin d’artiste engagée depuis un bon moment déjà, et la pudeur m’oblige à ne pas être plus précis, mais surtout se démultiplie en ligne.
Interpellé par son regard critique, lucide et parfois même radical, nous avons eu quelques courts échanges mais il m’en fallait davantage. Disponible, elle a accepté de répondre à mes questions pour Owni.
Attention les yeux, ça pétille !
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• Diane Tell bonjour, pouvez-vous vous présenter… en 140 caractères ?
Je le peux, à condition d’y ajouter quelques liens vers ce qui m’est extérieur mais pas étranger ! Je suis ce que j’aime ! Espaces compris !
(140 précisément !) [NDLR : bravo, c’est ce qu’on appelle un twoosh]
• On connaissait la chanteuse venue de la Belle Province et installée dans le Pays Basque, j’ai découvert plus récemment votre activité numérique : un blog, un compte Twitter, mais aussi Facebook, MySpace, FlickR, YouTube. Depuis quand assurez-vous votre présence numérique ?
Le numérique est présent, sans interruption, dans ma vie depuis le début des années 80. J’ai acheté en 1981, dès sa sortie, le premier IBM PC avec son processeur à 4,77 MHz, sa mémoire RAM 16K extensible à 64K et son affichage monochrome mode texte uniquement ! (Je l’ai toujours)
Pour ce qui est de ma présence sur la toile, mes premières connections datent de 1996, année de ma rencontre avec Jean-Pierre Joignant mon fidèle collaborateur. Nous avons débuté en ligne avec Zeruko Txalupa , site dédié à notre engagement auprès d’Air Solidarité, rallye humanitaire aéronautique auquel j’ai participé en tant que pilote et marraine de 96 à 99. Les internautes pouvaient suivre le journal du voyage presque en temps réel ! A l’époque en Afrique, pour envoyer une image de quelques dizaines de kilobytes, il fallait s’adresser à un fournisseur d’accès local et lui verser une coquette somme en FR CFA ! Pour les textes, j’envoyais des fax manuscrits et Jean-Pierre mettait en ligne ses transcriptions. Le passage à l’ère du XXIème siècle à peine franchi, j’ai troqué mon casque David Clark de pilote pour un Sony Pro de studio et me suis remise à la musique à plein temps. En 2003, dianetell.com version flash est lancé, un site plus axé sur la musique, et en 2008 j’entre dans l’univers des blogueurs du net ! J’ai créé ensuite des pages Web 2.0, sortes de satellites au site principal avec l’avantage d’un hébergement sur un serveur communautaire très populaire.
• Pour quelle raison : est-ce par goût personnel, pour vous exprimer en ligne, pour préserver votre image et votre identité numérique, pour entretenir des relations avec vos fans ?
Je ne sais pas s’il est possible de préserver une image sur le net mais il est indéniable que l’on peut y transmettre une impression plus personnelle, plus complète de son travail et de ses idées. Le temps d’antenne des médias classiques est très court. Ma contribution chatouille un peu l’image reçue, le cliché façonné par le temps qui passe et par tout ce qui ne passe pas dans les médias traditionnels. Pour ce qui est des fans, ceux qui suivent mon parcours avec une ferveur touchante, j’ai surtout envie de leur donner de la matière… Je préfère l’idée de transmettre du pur contenu à celle de communiquer de l’information. Quant au contact direct avec le public, il me rapproche de la scène ! On se sent moins seul, la réaction est immédiate. J’ai toujours l’impression de donner moins que je ne reçois mais j’y passe un temps fou alors je ne culpabilise pas trop !
• D’après vous, est-ce que la relation directe entre le public et l’artiste et la désintermédiation des rapports en général sont devenus des passages obligés ? Ou bien une chance à savoir saisir ?
Internet, ou plus généralement l’informatique, est une chance pour les uns, un passage obligé pour les autres. Personnellement je me régale. J’aime l’outil et j’aime l’esprit de la communauté qui y adhère. Je surfe beaucoup et m’occupe de tout le contenu de mon site et des pages web 2.0. L’industrie de la musique, en particulier ses artistes, techniciens et créateurs, est l’un des premiers secteurs à avoir exploité tous les avantages techniques (parfois trop !) et innovants de l’informatique dès les années 80. Malgré les clichés défaitistes, la musique est très présente sur la toile, super diversifiée, en « net » progression ! Ce qui n’est pas le cas dans les médias traditionnels.
Les jeunes artistes qui débutent aujourd’hui ont un avantage sur leurs prédécesseurs : ils sont nés sur le net où surfe leur public H 24. Un artiste qui a fait des LP peut s’adapter, maitriser les nouveaux outils, innover, transgresser les codes mais son public le suivra-t-il ? Ou devra-t-il en fin de compte séduire un nouveau public ?
• Votre compte MySpace fait un peu penser au 1337 5|*34|< (leet speak) des geeks, vous êtes une technophile avertie ?
Pour répondre à votre question, j’ai dû aller voir ce que « leet speak » signifiait, c’est vous dire mon niveau de geek ! Pour tous ces détails, il faudrait s’adresser à Céline, Jean-Pierre et Julie. Je peux mettre en ligne du contenu, j’ai longtemps travaillée avec le logiciel Digial Performer, aujourd’hui avec Protools pour la musique, Photoshop pour l’image, etc. Mais pour moi entrer dans un programme informatique, c’est comme ouvrir le capot d’une voiture… je ne peux qu’admirer béatement l’air puissant de l’engin : je ne saurais pas quoi en faire !
• Vous commentez également en ligne, et de manière abondante. Pourquoi si peu d’artistes s’expriment-ils en ligne, non pas dans leur espace, mais ailleurs ?
Les pages d’artistes « installés » sont généralement des espaces dédiés à la communication. Simple gestion d’image. Peu d’artistes s’expriment personnellement sur leur site, ce qu’ils ont à dire, ils le disent dans leurs œuvres – album, livre, film, photographie… Je peux comprendre ce choix de ne pas en rajouter. Pour ma part, j’en montre un peu plus par goût pour la réflexion, l’échange, l’écriture, la petite histoire et les archives ! Ce n’est pas pour me mettre en avant que je blogue, c’est pour me mettre en mémoire.
Si les artistes en contrat s’expriment peu sur Hadopi c’est peut-être pour ne pas contrarier leur maison de disques plutôt « pour » et préserver leur image auprès du public assez « contre ». Un artiste a très peu de pouvoir dans cette industrie, alors qu’il intervienne ou non, ça ne changera pas le cours des choses. Le seul pouvoir qu’on lui reconnaît et encore, c’est celui de « vendre ». C’est une industrie, pas un parc d’amusement. Ce qui me gêne c’est le décalage entre le discours officiel en faveur de la création et la cruelle réalité du marché depuis toujours.
• Vous vous êtes manifestée ouvertement et très fermement contre Hadopi : qu’est-ce qui ne va pas dans cette loi ?
Mes problèmes avec cette loi en devenir ont commencé en 2006. Une personne chez Sony m’a envoyé une pétition à signer en faveur de la répression des pirates ou contre la piraterie, je n’ai pas le souvenir précis du contenu de la lettre mais ça allait dans ce sens. J’ai refusé. Une heure après le numéro 2 de la maison de disques me téléphone pour m’engueuler !
J’étais la seule artiste du groupe à ne pas avoir signé, rendez-vous compte ! Nous sortions de la très mauvaise période des DRM sur les CD, je ne voulais pas soutenir un autre modèle sans suite…
a) Commençons par la fin, cette loi est dépassée. Le téléchargement sauvage n’est pas mort mais y’a comme une odeur. Il a déjà perdu une très grande part de marché noir face au streaming. Et le flux, c’est l’avenir. Pourquoi avoir chez soi de gros disques durs pleins à craquer et susceptibles de planter à tout moment alors qu’on peut accéder facilement sans stockage au même contenu ? Pourquoi s’emmerder à télécharger de lourds fichiers et tous les additifs viraux qu’ils peuvent transmettent ? La question des supports n’est pas réglée. La mutation suit en cours. Ce qui ne va pas dans cette loi c’est son attachement au support. Le support n’a plus d’intérêt aujourd’hui. Le support physique CD oui, pour la pochette. Avoir un fichier chez soi ou sur un serveur à Seattle c’est exactement la même chose.
b) Si j’ai bien compris, c’est aux ayant-droits de signaler à la Haute Autorité les fraudes. Aux ayant-droits d’enquêter, d’apporter les preuves et d’identifier les coupables. Qui sont-ils et comment vont-ils s’y prendre ? Qui prend en charge les frais ? Ca me choque de ne pas avoir de réponses à ces questions.
c) Faites un retour en arrière et observez la France en 1980 et la musique diffusée alors sur les ondes de Radio France, RTL, Europe 1 et Radio Monte-Carlo. Imaginez un an plus tard l’irruption sur tous les toits de dizaines d’émetteurs et sur la bande FM la diffusion du contenu anarchique de radios libres de tout contrôle, sans règles ni ambition, des improvisanimateurs dopés de convictions, en roues libres, NRJ période Jean-Pierre d’Amico, des radios créées de toutes pièces dans un appartement, un garage, hyper communautaire, un peu comme Internet aujourd’hui. Regardez maintenant ce que la FM est devenue 28 ans plus tard, ce qu’est devenu NRJ, le formatage, les antennes toutes regroupées en holding. Imaginez Internet dans une vingtaine d’années. Je suis pour plus de liberté. Je ne souhaite pas qu’Internet devienne dans 20 ans le terrain de jeux d’argent de 4 majors qui m’imposeraient leurs goûts, leurs couleurs et leurs règles. Je parle en tant qu’artiste et citoyenne !
d) Internet est à la fois distributeur et diffuseur de contenu. La FNAC et France Inter réunies. Le streaming, c’est de la diffusion ou de la distribution de contenu ? L’outil est formidable, mais c’est très nouveau. Hadopi ne se penche pas sur ces questions, elle ne valide qu’une chose : que les lois du monde réel s’appliquent au monde virtuel. Ceux qui ont le pouvoir dans le monde réel tentent de le faire valoir dans le monde virtuel en s’appuyant sur des lois.
• Quel rapport entretenez-vous avec les maisons de disque ?
J’en ai trois ! Une pour le passé, une pour le numérique et une pour le nouvel album ! Les rapports sont différents avec chaque collaborateur mais toujours bons je crois, pour moi en tous les cas.
• Vous n’y allez pas de main morte : « Le CD c’est certain deviendra d’ici peu au mieux un produit d’appel au pire un produit dérivé, au même titre qu’un t-shirt, un poster, un autocollant ou autre babiole à l’effigie de l’artiste. […] Le troisième millénaire signe la mort du contenant, de l’emballage, du paquet cadeau ». Quels modèles économiques envisagez-vous pour permettre aux artistes musicaux et vidéo de vivre de leur travail ? Quels choix avez-vous fait personnellement ? (scène, petit label, production, maison de disque en ligne, autoproduction…).
Les disquaires ferment leurs portes, l’espace consacré à la musique diminue ou disparaît des espaces informatico-culturels, il ne peut pas y avoir de ventes sans surface de ventes. Les gens sont passés à autre chose. Le CD (ou autre support) a un avenir en tant qu’objet pour fan ou collectionneur et puis il faudra bien en fabriquer pour les concerts ! Il se vend beaucoup de CD les soirs de concerts. Le CD est à l’album ce que la sortie en salle est au film. Symboliquement l’objet a sa valeur. Sur le marché, il en a encore, moins qu’hier, plus que demain. Je n’ai pas de modèle à défendre pour l’artiste qui veut vivre de son art aujourd’hui.
L’artiste doit se comporter comme un artisan, se faire respecter pour la qualité de son travail, vendre celui-ci librement à sa clientèle. Si possible, conserver ses droits : d’auteurs, éditoriaux, phonographiques, voisins etc. On vend peut-être un artiste mais ce qui rapporte c’est la chanson et son enregistrement x autant d’albums.
Pour ma part je suis producteur et éditeur depuis très longtemps, je travaille avec une major Sony, une e-compagny Believe et un historique petit label Celluloid. J’ai ouvert ma boutique en ligne sur mon site. J’expédie dans le monde, c’est l’avantage et le CD arrive dédicacé !
• Vous portez un regard critique sur les médias, que vous consultez manifestement avec attention. Vous lisez plutôt par fidélité, ou au hasard selon les thèmes ?
Je peux répondre très précisément à cette question. Je suis abonnée à Libération.fr, @si, XXI, Backchich, Médiapart, et je soutiens d’une brique Rue89… Je me suis abonnée à ces sources d’information parce que je prends plaisir à les lire et par engagement. Je lis aussi le Canard et Technikart. Je survole toute l’autre presse en ligne tous les jours et vais sur quelques blogs… beaucoup de titres français, je surfe aussi au Canada, aux Etats-Unis, ailleurs…
• En quoi la crise de la presse (crise économique, crise de confiance) en France vous touche-t-elle ? Comment cela se passe-t-il de l’autre côté de l’Atlantique ?
La fermeture d’un journal, qu’il soit ou non à notre goût est une triste affaire. Internet bouleverse considérablement l’industrie de l’information parce que c’est bien d’une industrie qu’il s’agit. On vend du papier, de la publicité, je dirais presque, peu importe le contenu ! Tous les chemins mènent au support. En ligne il y a d’avantage de contenu qu’en version papier, avec les archives, il y a même de l’audio, des images en diaporama et des vidéos. Et puis lire son journal en ligne, écologiquement, c’est un geste fort ! Le problème c’est qu’il n’y a pas de support, donc pas de prix, pas d’acheteur. Je ne sais pas comment ça se passe en Amérique mais sans risques de me tromper je dirais que les mêmes causes produisent les mêmes effets à plus ou moins grande échelle dans les pays économiquement proches.
• Vous avez dédié une rubrique « Si j’étais journaliste » à votre blog. Vous auriez aimé être journaliste ?
J’aime lire et écrire, je suis curieuse et photographe, indépendante et rigoureuse mais je suis aussi très naïve, et ça c’est incompatible avec le métier de journaliste ! Je me contente d’écrire quelques billets librement sur mon blog. J’aime beaucoup aller sur les blogs des autres également.
• L’irruption en force des lecteurs, commentateurs et des blogueurs dans le panorama de l’information, c’est un mouvement qui vous paraît superficiel, utile, perturbateur ?
Rue89 a fait une étude révélant qu’une toute petite partie des riverains de leur site participaient à la discussion en rédigeant des commentaires. Peut-être, mais ils sont très lus. A prendre et à laisser. Peut-on juger un journal par ses lecteurs, un élu par son électorat, un artiste par son public ? Je ne sais pas. La parole est utile à celui qui la prend puisqu’il l’a prise. Pas toujours à celui qui la lit. Il y a d’excellents blogueurs sur le net, je suis friande, je surfe beaucoup, parfois à l’aveugle ou presque.
• Un petit mot sur votre actualité : Docteur Boris et Mister Vian est sorti il y a quelques jours sur iTunes. On ne vous connaissant pas si jazzy, c’est récent ou s’agit-il d’assouvir une envie déjà existante ?
J’ai étudié la guitare jazz, c’était mon instrument à la fin de mes études. Mon premier album était pur jazz, même, avec des chansons originales. Un solo de voix par titre, rien que ça ! Pour les albums suivants, toujours quelques titres jazz : Gilberto, L’indésirable, Les trottoirs du boulevard St-Laurent, Dégriff’moi… J’ai toujours flirté avec le jazz, ce répertoire de standards adaptés par Boris Vian était irrésistible !
• Des projets sur scène, ou au théâtre ?
Je fais toujours de la scène, je prépare avec Deghelt Production une tournée en 2010 avec Laurent de Wilde comme directeur musical et trois autres musiciens.
• Verra-t-on un jour exposées vos photographies ?
J’ai exposé tout l’été, d’autres expositions sont en préparation pour mes Pixous, des photos argentiques découpées au pixel ! Un travail que l’on peut voir en ligne toute l’année.
• Quel est votre plus beau souvenir de scène ?
Mon premier Olympia me vient à l’esprit ! Un soir seulement, mais une salle comblissime et de très bons musiciens pour m’accompagner : Manu Katché, D’Angelo… Véronique Sanson y était installée pour un mois. Un lundi soir de relâche pour elle, j’ai pris la scène, j’ai pu chanter mes chansons, dans son décor avec ses musiciens… On a eu beaucoup de succès… Mon père était présent. 1983. Inoubliable.