Publié le 10 décembre 1996
« Aujourd’hui, il n’est plus permis en effet de faire le fol; votre repos doit servir à quelque horloge que sonne l’heure, elle est trop grave pour qu’on agisse sans réflexion. Le voyage, même chez les peuples heureux qui peuvent encore se payer ce luxe, ne libère plus, il engage. Noblesse oblige; or la plus grande de toutes les noblesses n’est-elle pas celle de l’homme libre qui part pour apprendre, qui revient et rend compte ? »
Paul Morand 1937
En 1998, pour les dix ans d’Air Solidarité, Zeruko Txalupa et une vingtaine d’autres équipages traversent l’Afrique d’ouest en est pour atteindre Zanzibar en petit avion monomoteur et rentrent sans heurt par l’Egypte, la Grèce et l’Italie. C’était un grand et merveilleux voyage.
Deux ans plus tard un avion d’Air Solidarité s’abîme en mer de Libye suite à une collision avec un autre avion du Rally. Ted Marsaleix, président d’Air Solidarité, Guy Bichon, Eric et un Lybien périssent dans l’accident. Marraine d’A.S. depuis 96, je m’apprêtais à les rejoindre quand on m’annonça la nouvelle. Pas un jour où je ne pense à Ted depuis sa disparition. J’ai fais, grâce à lui et en sa compagnie, connaissance avec l’Afrique, j’en ai absorbé l’ambiance lors de quatre merveilleux voyages, j’y ai vécu des jours inoubliables, inoubliable comme l’est Ted.
Ce journal est celui du Rally Air Solidarité 1996, mon premier en tant que pilote. Réalisé à l’époque pour le site Internet Zeruko Txalupa, Jean-Pierre Joignant a réussi le tour de force de mettre en ligne, sur une toile à peine tissée, au jour le jour notes et photos fraîchement envoyées d’Afrique. C’était avant l’invasion des portables !
J 1 – Biarritz-Perpignan
Le trajet de Biarritz à Perpignan prévu difficile ne pose aucun problème. Nous contournons le mauvais temps qui coiffe les Pyrénées. Ted Marsaleix, vice-président organisateur d’Air Solidarité, tombe de haut en panne moteur au-dessus de Limoges, se pose de justesse sur « trois roues deux cylindres » et nous rejoint en voiture de luck. Briefing départ. Le météo-mélo-man annonce la couleur du temps pour demain : la gamme complète des tons de gris mouillés-cumulonimbés. Plus la pression atmosphérique descend, plus celle des pilotes augmente. Décollage prévu demain matin à 6h30 TU (temps universel). On compte déjà les heures de sommeil par nuit sur les doigts d’une seule main.
J2 – Perpignan-Alméria-Fès
La région méditerranéenne espagnole casse son image glacée saturée de soleil de brochure touristique. Almeria, est le point de départ de la traversée maritime vers le Maroc. Un vent de face de 50 à 60 kts ralentit considérablement notre Aiglon . L’engin participe pour la septième fois au Raid et ne perd pas le Sud !
De la côte du Rif à la vallée de l’Atlas, toute la panoplie des nuages se dessine sur la toile céleste ; cumulonimbus enfouis dans la couche de stratus, éclaircies voilées de cirrus, lenticulaires aux formes rondes comme des soucoupes volantes, mes favoris. La lumière toute de contrastes se répand en coulures surnaturelles sur les collines chérifiennes blondes labrador. Le décor tacheté de petits arbres fruitiers plantés en rang d’oignon défile à 100 images seconde.
Je photographie mes premières impressions de cartes « aéropostales » clichés kitsch, efface les cliquées numériques d’un coup de doigt mal placé (oups !). Difficile de se concentrer, piloter, observer, cadrer, arrondir, ivre de zèle et secouée comme des smarties en boîte dans la main d’un enfant agité… Je m’initie béate au B.A.-bas de l’aéronautique. Je vole bas, transportée d’admiration pour ces pilotes explorateurs d’avant-guerre partis à la conquête du ciel africain, munis de peu ou pas de moyens de navigation. Le GPS, est un GROS PÉPIN de SOUCI en moins pour les aventuriers amateurs modernes que nous sommes. Quelques satellites et un petit ordinateur se substituent aux étoiles et au sextant. Moins élégants mais tellement efficaces, ces gadgets de pacotille font de piètres navigateurs des as de la précision. Un point et c’est tout ! Mais les orbiteurs ça tombe en panne ou bien ça tombe tout court en tas de ferraille et nous en sommes les irrécupérables esclaves. Nous vivons une ère de tout ou rien, de trous et de points.
Ca bavarde sec sur la fréquence raid 123.45 durant ces premières 7 heures 30 de vol. Les avions bolides nous donnent la météo, la hauteur du plafond, la force et la direction du vent en aval.
J3 – Fès-Agadir
Question de vie ou de VOR, nous simulons pour nous entraîner une panne de GPS. A l’aide des instruments de bord classiques, nous cheminons le long des sommets enneigés de l’Atlas vers Essaouira, l’ancienne Mogador. Son vieux port, la baie en croissant évoquent la petite ville de St-Jean-de-Luz au Pays Basque. Cap direct sur Agadir. Le jour s’écroule à l’horizon, la lumière sombre dans l’océan. D’un bain tourbillon de ciel nous plongeons sur GMAD (Agadir). Ted et son Papa Charlie nous ont rattrapé. Diagnostic de la panne : givrage du filtre à air…ça existe ça ? Demain le désert, l’Afrique de Tintin et de St-Ex., le Sahara, l’inconnu pour l’Abitibienne-Angloye que je suis et adieu les redoutables risques de givrage. Humidité : 0. Température : 37,2 le soir .
Le groupe d’Air Solid, transformé en Air Liquide, égaye le bar tristounet de l’hôtel. Albert (25 ans de bons et loyaux services en ligne) me fait cadeau de ses ailes de commandant de bord aussitôt cousues sur la poche gauche de mon bleu de mécanicienne promu combinaison de pilote de brousse. De toutes façons, la mécanique c’est pas mon truc. Faudra bien que je m’y mette un jour. Changer une bougie c’est pas la mèche à fumer !
Mlle une nuit au royaume des chats fourrés dans tous les coins va se coucher. Petite pensée pour le mien, Khiri Khan, que j’espère blotti dans un de mes pulls – OVER.
J4 – Agadir-Laayoun-Atar en Mauritanie
D’Agadir nous côtoyons l’Atlantique et ses falaises parsemées de maisons troglodytiques, suivant la route de l’Aéropostale des Mermoz, Guillaumet et St-Exupéry. Le désert à cour, l’océan au jardin. Pêcheurs en ligne, épaves rouillées brisées par les flots, flamants roses en pagaille. Des vols de mouettes interdisent les passes à « pas sage » altitude. Le moteur n’apprécie guère les petits oiseaux en pâté…Impossible de résister au survol à basse hauteur de Cap Juby et Tarfaya, la célèbre escale de la ligne mythique Toulouse/St-Louis. Atterrissage sur la base militaire marocaine de Laayoune, derrière un Hercule en tenue de camouflage saharien en route pour le Zaïre, où notre équipage Zeruko Txalupa (Pirogue du Ciel) finance la réalisation d’un dispensaire.
Navigation à l’ancienne sur l’itinéraire d’Atar en mystérieuse Mauritanie: le cap et la montre. Du désert, du désert, du désert…Par-ci par-là des chameaux, des troupeaux de chèvres, des nomades vêtus de larges étoffes noires et leurs chevaux arabes immaculés au galop. On évite de trop les titiller de près, ils sont très susceptibles me souffle Gabriel. Nous planons au dessus de Tan-Tan. En bordure de piste, un DC3 planté s’enlise dans le sable.
Nous nous posons à Atar. Débarrassés de la contrainte coutumière des formalités, un camion à bétail nous embarque tous pour Terjit, où nous passerons la nuit en bivouac. Une heure de piste debout sur nos bagages dans la poussière rose de la 504 nous précédant. Nous atteignons l’oasis coincé entre les plateaux striés d’ocre trop tard pour apprécier à sa juste moiteur ce paradis isolé. Des sourires éclatants percent la pénombre. Tout près de la tente Touareg, un festin à l’échelle africaine s’organise autour d’un grand feu de lumière et de chaleur. Une fatma superbe percussionne sur un bidon d’essence, une autre danse, spectrale visage couvert, accompagnée d’un musicien jouant d’un instrument à cordes hybride branché sur un rafistolage de vieille batterie de voiture et de haut-parleur de sirène. Je sors de sa housse mon passe-par-tout-terrain par excellence à la joie des autochtones peu habitués à voir des mains de blanche courir sur l’ébène d’une guitare. Nuit de rêves étoilés sous la moustiquaire dans le creux d’une dune bien calée dans ma doudoune.
Journal d’Afrique (deuxième partie)